Depuis février 2025, un vent de détresse souffle sur les campagnes du Sud-Kivu. La fermeture brutale des institutions de microfinance décidée par la Banque centrale pour des raisons de sécurité a plongé de nombreux agriculteurs dans une crise financière sans précédent. Ces institutions, souvent les seules sources de crédit en milieu rural, jouaient un rôle vital dans le financement des activités agricoles entre autre l’achat d’intrants, équipements, salaires saisonniers… aujourd’hui, tout est à l’arrêt.
Privés de prêts et d’accès direct à leur argent, les agriculteurs tentent de s’adapter via les solutions digitales. Mais là encore, les obstacles s’accumulent. Difficulté de retirer du cash dans les points de service, commissions de retrait exorbitantes allant jusqu’à 10 %, taux de change défavorables… le numérique, censé être une alternative, devient une impasse pour beaucoup. Sans argent liquide, impossible d’acheter des semences ou de payer la main-d’œuvre pour le sarclage, une étape pourtant cruciale dans le calendrier agricole.
« Nous ne sommes plus en mesure d’obtenir de crédits. Nos champs sont à l’abandon. La production est en baisse car nous manquons de moyens », déplore Justin Kikokole, agriculteur de Bwegera et membre de l’AFDR (Association des Femmes pour le Développement Rural). Comme lui, beaucoup de producteurs regardent désormais vers leurs anciens partenaires avec espoir, mais sans garantie.
Une agriculture à bout de souffle
La situation est alarmante : la famine s’installe progressivement dans certaines zones comme Kabare. Les jeunes se détournent des champs pour tenter leur chance dans l’exploitation minière. L’agriculture, pilier du développement local, devient synonyme de souffrance.
« Le manque de crédits agricoles est une menace directe pour la survie de nos familles. Certains ne peuvent même plus payer les soins médicaux ou les frais scolaires », s’inquiète Olivier Cirhuza, coordonnateur d’une coopérative de pisciculteurs à Kabare.
Les femmes rurales, quant à elles, subissent de plein fouet cette crise. Déjà fragilisées par l’insécurité économique, elles doivent redoubler d’ingéniosité pour nourrir leurs familles, souvent en développant des activités parallèles pour survivre.
Des institutions figées, une économie en pause
En toile de fond, l’insécurité persistante dans l’Est du pays notamment la présence des groupes armés du M23/AFC a contribué à la suspension des activités financières dans plusieurs zones. Mais ce sont les paysans qui en paient le prix fort.
« L’absence de mécanismes d’épargne affaiblit considérablement les agriculteurs. Pour eux, l’épargne est une assurance pour la saison creuse. Aujourd’hui, tout est bloqué », analyse Augustin Biregeyi, expert en microcrédit.
Et d’ajouter,
« Plus de crédit, plus de production. Moins de production, plus d’importations. Et derrière, une économie nationale en déséquilibre. »
Pire encore, ceux qui avaient déjà contracté des prêts n’arrivent plus à les rembourser. Le système de scoring bancaire continue de les pénaliser, malgré la suspension des intérêts moratoires par la Banque centrale dans les zones de conflit. Leur futur accès au crédit est donc compromis, créant un cercle vicieux de pauvreté et d’exclusion.
Une crise aux répercussions multiples
La situation ne touche pas que les agriculteurs. Les marchés sont en tension. Les prix augmentent, les revenus stagnent, et le pouvoir d’achat chute. Le panier de la ménagère se vide petit à petit, générant frustrations, privations et instabilité sociale.
Face à cette urgence, les agriculteurs appellent les autorités, les ONG et les partenaires à l’aide. Ils réclament un accès rapide à des crédits souples, la réactivation sécurisée des institutions financières rurales et l’adoption de solutions adaptées à la réalité du terrain.
Car sans financement, l’agriculture du Sud-Kivu déjà mise à genoux par l’insécurité risque de s’effondrer. Et avec elle, c’est toute l’économie rurale qui vacille.
Patrick Babwine
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