Des milliers de riziculteurs de la plaine de la plaine de la Ruzizi dans la province du Sud-Kivu vivent dans la précarité. Pour cause, leur principal acheteur, la BRALIMA a fermé ses portes à Bukavu. Actuellement leurs stocks risquent de s’avarier, ce qui va décourager les initiatives qui étaient déjà florissantes. Malgré la signature des contrats de vente avec cette usine brassicole, ces producteurs groupés en coopératives ont tout perdu. Ils demandent un appui du gouvernement et des partenaires multiformes pour relancer la filière.
La plaine de la Ruzizi, un grenier oublié
La plaine de la Ruzizi, jadis considérée comme le grenier rizicole du Sud-Kivu, traverse une crise sans précédent. L’usine de la Bralima, autrefois principal débouché pour la production rizicole, a fermé ses portes depuis le 14 février 2025 lors de la prise de la ville par les M23, plongeant des milliers de familles dans l’incertitude. Cette fermeture a désarticulé une filière entière qui reposait sur une chaîne de valeur bien structurée : production, collecte, transformation et commercialisation.
Selon Francis Erebu, riziculteur et membre de la Coopérative Mashaka de Kilomonyi, « à peine 10 % des producteurs continuent une production orientée vers l’industrie. La grande majorité s’est repliée vers le riz de table, destiné à l’autoconsommation et aux petits marchés locaux ». Faute de débouchés industriels, l’activité agricole se réduit à une survie alimentaire, marquant un recul de plusieurs décennies en termes de développement économique.
La BRALIMA lâche les riziculteurs de la Ruzizi
Les coopératives agricoles, véritables piliers de la structuration du secteur, subissent de plein fouet les conséquences de cette désindustrialisation. La Coopérative Paysanne de Développement Agricole de Runingu/ COOPADARU de Runingu en est un exemple frappant. Selon son gérant Huruma Voté Alexis, un contrat de 250 tonnes de riz, signé avec la Bralima, n’a jamais été exécuté. D’où le résultat qui conduit aux stocks invendus, endettement croissant, démotivation des membres et perte de crédibilité auprès des partenaires.
« Nous sommes en grande difficulté dans l’exercice de notre métier. Le riz s’écoule très lentement, nos revenus chutent et la concurrence parfois déloyale sur les marchés locaux nous asphyxie », regrette Huruma Voté Alexis, gérant la COOPADARU.
En l’absence de clients industriels, certaines coopératives se voient contraintes d’écouler leur riz en détail, à des prix dérisoires, ou de suspendre leurs activités. Plusieurs membres abandonnent la culture du riz ou se tournent vers d’autres spéculations, fragilisant encore davantage la cohésion sociale.
Des appuis ponctuels insuffisants
Face à cette crise, quelques organisations de développement ont tenté d’apporter leur soutien. Huruma, cite par exemple Agriterra, qui a offert un appui limité en conseils sur la diversification des marchés, une prise en charge partielle des agents coopératifs et un appui technique au plan d’action.
« Mais ces efforts demeurent marginaux face à l’ampleur des besoins », regrette-il.
En dehors de ces appuis ponctuels, les coopératives restent isolées, sans véritable accompagnement structurel ni soutien financier durable. L’absence d’un engagement politique fort, à la fois du gouvernement et des partenaires techniques et financiers, accentue le sentiment d’abandon des producteurs. D’où un appel urgent à l’action pour sauver la filière rizicole du Sud-Kivu.
Des initiatives qui refusent de mourir
Malgré les difficultés, certaines coopératives refusent de baisser les bras. Dans la plaine de la Ruzizi, plusieurs initiatives émergent dont, la multiplication des points de vente locaux à Runingu, Kiliba, Uvira. Une forte sensibilisation des membres aux bonnes pratiques agricoles est mise sur pieds, des expérimentations de diversification des semences pour améliorer la productivité ainsi que des projets de conditionnement et de mise sur le marché d’un riz labellisé sous marque locale, destiné à séduire une clientèle urbaine.
Ces stratégies témoignent d’une résilience remarquable, mais elles restent limitées par des obstacles structurels. La situation sécuritaire actuelle dans la zone isole davantage la plaine, rendant l’acheminement des produits difficile et coûteux. Le manque d’accès aux services de certification, aux banques et aux marchés régionaux et internationaux prive les producteurs d’opportunités économiques.
La BRALIMA oui, mais….
La fermeture de la Bralima a entraîné des répercussions qui dépassent le seul secteur agricole.
Privés de débouchés stables, les producteurs vendent difficilement leur riz sur des marchés locaux saturés, ce qui réduit leur pouvoir d’achat. Plusieurs ménages ont assisté à une perte excessive de revenus. Le chômage massif des plusieurs ouvriers, transporteurs, commerçants et prestataires de services liés à la filière ont perdu leur source de revenus. Il s’observe également un accroissement des inégalités sociales où les producteurs disposant de moyens financiers parviennent à écouler leur production en détail ou à se reconvertir, tandis que les petits exploitants sombrent dans la précarité.
Pour l’aspect Insécurité alimentaire, la chute de la production orientée vers le marché limite les excédents, accentuant la vulnérabilité des familles rurales. Mais et surtout, la fragilisation du tissu économique local, la contraction des activités liées au riz affecte l’ensemble de la vie économique de la plaine.
Selon Huruma Voté, « les écarts sociaux se creusent de plus en plus. Ceux qui ont encore des moyens résistent, mais les petits producteurs subissent la crise de plein fouet, ce qui menace la cohésion sociale et le vivre-ensemble ».
Le gouvernement aphone
Pour beaucoup d’acteurs, la relance de la filière rizicole passe avant tout par le retour de la paix et des investissements industriels.
« La culture du riz était rentable et pouvait générer d’autres activités connexes. La paix et la réouverture d’usines comme la Bralima redonneraient espoir à une filière stratégique pour la sécurité alimentaire et le développement économique du Sud-Kivu », insiste Francis Erebu.
La relance industrielle permettrait non seulement de redynamiser la production, mais aussi de créer des emplois, renforcer les coopératives et stabiliser le tissu socio-économique.
La crise qui secoue la plaine de la Ruzizi ne doit pas rester un simple dégât collatéral de la guerre. Elle doit constituer une alerte pour les décideurs politiques et les partenaires au développement.
Pour le gérant de la Coopérative des Cultivateurs pour l’Amélioration de la Production Agricole, COOCAPA, Mabange Nonge, il faut relancer les industries locales capables d’absorber et de transformer la production rizicole.
« Appuyer financièrement et techniquement les coopératives pour renforcer leur rôle institutionnel et leur résilience. Au gouvernement de rechercher et de garantir la paix et la sécurité ainsi qu’investir dans les infrastructures routières pour désenclaver la plaine et faciliter l’accès aux marchés », recommande Nonge.
Un marché régional
Pour rendre les activité plus fluide les riziculteurs dans la plaine, recommande de développer un marché inclusif et régional permettant aux producteurs d’accéder à de nouveaux débouchés, y compris transfrontaliers.
Il sied de noter que la plaine de la Ruzizi qui est un poumon agricole du Sud-Kivu, se trouve à la croisée des chemins. La fermeture de la Bralima a révélé la fragilité d’une filière dépendante d’un seul acteur industriel. Sans intervention rapide et coordonnée, cette crise risque de transformer une région fertile en zone de pauvreté chronique et d’instabilité sociale.
Il en va de la responsabilité collective : celle des autorités, des partenaires techniques et financiers, mais aussi des producteurs eux-mêmes. L’avenir de milliers de familles, la stabilité socio-économique du Sud-Kivu et la souveraineté alimentaire de la province dépendent des choix faits aujourd’hui.
La rédaction a tenté entrer en contact avec la direction générale de la Bralima à Kinshasa pour en savoir plus, mais jusque-là elle n’a pas trouvé gain de cause.
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