Lac Kivu : l’exploitation incontrôlée des alevins menace l’écosystème et la pêche durable

Des Moustiquaires pour attraper les alevin, les écologistes montent au créneaux/ photo Crédit
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Entre Bukavu, Kalehe et Idjwi, les eaux scintillantes du lac Kivu cachent une réalité inquiétante. Une pratique discrète mais dévastatrice gagne du terrain : la capture massive d’alevins, ces jeunes poissons encore immatures qui n’ont pas atteint leur taille adulte. Chaque nuit, des embarcations artisanales sillonnent le lac à la recherche de ce butin fragile, sacrifiant l’avenir de la pêche pour un revenu immédiat. Si cette activité illégale
semble anodine à première vue, elle constitue en réalité une menace directe pour la biodiversité aquatique, la sécurité alimentaire et l’économie locale.

Selon l’écologiste -hydrobiologiste et ingénieur en pêche et Aquaculture Basoda Kitumaini en environnement de l’Université Catholique de Bukavu (UCB), la capture des alevins détruit progressivement le cycle naturel de reproduction.
« Chaque alevin capturé, c’est un adulte en moins dans le lac. À long terme, cela conduit à la disparition progressive des espèces », explique Emmanuel Basoda Kitumaini, chercheur au sein du centre Hydrobiologie de l’Université Officielle de Bukavu
Les sambaza, tilapias, jadis abondants, se font de plus en plus rares.
Déjà fragilisé par la pollution, le réchauffement climatique et la déforestation des berges, le lac Kivu risque un appauvrissement irréversible de son écosystème si cette exploitation anarchique n’est pas maîtrisée et que des mécanismes de conservation ne sont pas envisagés.
Cette situation menace aussi la chaîne alimentaire aquatique et les oiseaux piscivores, dépendants de ces poissons pour leur survie.

Un cadre légal ignoré

Sur le plan juridique, la pêche des alevins est clairement interdite par le Décret n°15/012 du 1er août 2015 portant réglementation de la pêche et de l’aquaculture en RDC. À son article 27 les texte stipule, «la capture, le transport, la détention et la commercialisation des poissons non matures sont prohibés sous peine de sanctions administratives et pénales »

Pourtant, sur le terrain, les contrôles sont quasi inexistants. Le manque de moyens des services de surveillance, combiné à la pauvreté et à l’absence d’alternatives économiques, pousse de nombreux pêcheurs à braver la loi.

Le décret du 21 avril 1937 sur la pêche à son Article 60, montre que la destruction du frai et des alevins, ainsi que la pêche dans les frayères, sont interdites.

Certains pêcheurs qui vivent de ce métier sont totalement décourages du comportement de certains services étatiques et associations qui donnent un feu-vert à la pêche des alevins et dans des zones de reproduction. Mushagalusa pêcheur rencontré au Butch Bondeko se livre à la rédaction Mkulima media ;

« Depuis mon jeune âge, je suis dans le lac et je ne connais aucun autre travail. Je déplore et décourage avec toute énergie la pêches des alevins sur le lac Kivu. Ces sont des pêcheurs regroupés au sein des équipes qui utilisent des filets prohibés et qui attrapent l’alevin dit (Buhuzo). Mais aussi le Bihuro sont mauvais car ils pêchent dans les zones de frayères avec l’autorisation des autorités et ils attrapent les alevins » regrette Mushagalusa pêcheur originaire d’Ibinja en territoire de Kalehe.

« Nous n’avons pas d’autre moyen de survie à part la pêche des alevins sur le littoral du lac Kivu. Les filets de bonne qualité coûtent cher, alors beaucoup utilisent des moustiquaires dans les zones de frayères », confie un pêcheur rencontré au marché de Kalengera dans la commune de Bagir .  

Cette situation illustre le dilemme entre survie économique et responsabilité écologique. Pour certains, pêcher les alevins n’est pas un choix, mais une nécessité dictée par la misère.

Des voix s’élèvent pour une pêche durable

Face à ce constat alarmant, plusieurs organisations locales et institutions académiques multiplient les plaidoyers pour une gestion durable des ressources halieutiques.
Augustin Biregeyi experte au sein du cabinet d’expertise agricole et environnementale Ekagri-Innovation, préconise une approche intégrée pour lutter contre la pêche des alevins c’est qui veut dire  coordonner diverses stratégies notamment scientifiques, sociales, économiques, réglementaires de manière holistique pour protéger ces jeunes poissons.
« Il est urgent d’accompagner les pêcheurs vers des pratiques durables, comme l’aquaculture raisonnée et la pêche sélective. On doit considérer l’écosystème dans son ensemble et en impliquant tous les acteurs concernés, plutôt que d’agir sur des problèmes isolés.  La surpêche des alevins est influencée par de multiples facteurs et nécessite donc une solution multidimensionnelle », fait savoir Augustin Biregeyi. ;
Des initiatives pilotes dans la formation communautaire voient déjà le jour à Idjwi, à Kalehe et à Bukavu sous l’impulsion du professeur de Désiré Nzibonera où des comités de pêche participative sensibilisent les riverains à l’importance de préserver les alevins, véritables symboles de l’avenir du lac.

Entre nécessité économique et destruction des ressources

Les impacts de la pêche illégale des alevins ne se limitent pas à l’écologie. Selon un Emmanuel Basoda du Centre de recherche en hydrobiologie de l’Université Officielle de Bukavu /UOB en sigle, cette pratique provoque une baisse du stock de poissons adultes, une chute des rendements et donc une diminution des revenus des pêcheurs à long terme.
Elle perturbe aussi les chaînes alimentaires aquatiques, favorise l’apparition d’espèces invasives et accentue la précarité des communautés riveraines.
« Acheter ou consommer les alevins revient à participer à la destruction progressive du patrimoine halieutique du lac Kivu », alerte-t-il.

 Sauver les alevins, c’est sauver le lac

Pour inverser la tendance, les experts interrogés préconisent plusieurs actions urgentes entre autres, la protection des zones de frayères et interdiction de la pêche dans les zones de reproduction, saisir et détruire les filets illégaux dont les mailles sont inférieures à 8 mm. Ces derniers recommandent de promouvoir la pêche sélective et l’aquaculture communautaire, de renforcer la sensibilisation sur la valeur écologique et économique des alevins ; mais aussi l’application rigoureuse de la loi, comme le recommande.

« Il faut sanctionner non seulement les pêcheurs, mais aussi les complices qui sont au sein des services navals et étatiques, les acheteurs et revendeurs, » recommande Basoda Kitumaini.

 Entre survie et responsabilité

Le drame du lac Kivu réside dans ce paradoxe : « une population qui vit du lac, mais qui détruit sa propre source de vie. »
La pêche des alevins est devenue le reflet d’une crise plus profonde, celle de la gouvernance environnementale, de la pauvreté rurale et du manque d’alternatives économiques durables.
Sans une action concertée entre autorités, communautés et partenaires du développement, la disparition progressive des ressources halieutiques semble inévitable. D’où l’appel d’un jeune étudiant en faculté de pêche de l’UDDAC Bagira, Burhala Mulamba, à la prise de conscience pour éviter le regret plus tard.

« Le lac Kivu doit redevenir un symbole de vie, pas de surexploitation », a-t-il martelé..
  La recherche n’a pas encore dit son dernier mot, le professeur docteur Désiré Bayongwa dans son mémoire de gestion rationnelle de la pêche aux filets maillant sur le lac-Kivu en RDC pense que la participation communautaire est un processus collaboratif essentiel entre les autorités et les citoyens, visant à renforcer l’autonomie des communautés à travers la consultation, le partage d’informations et la délégation de pouvoir. En effet, la pêche anarchique et la destruction des zones de reproduction menacent gravement des espèces comme Limnotrissa miodon. Désiré Bayongwa recommande un encadrement strict des activités de pêche afin d’assurer une exploitation durable et préserver l’équilibre écologique du lac.

« La pêche des alevins contribue à la destruction et plus tard à la disparition de l`espèce. Des constructions anarchiques jusqu’à pousser l’eau du lac pour créer des terrains même dans certaines baies où les poissons font leur multiplication ; la surexploitation du lac pousse à l’appauvrissement du lac Kivu en espèces aquatiques, » fait savoir le professeur docteur Désiré Nazibone Bayongwa, dans son mémoire pour obtention de thèse.

 Marenzio Birindwa cliente des alevins rassure que ces produits sont rares et importants pour la bonne nutrition et la santé des enfants, une raison de plus de les consommer.

Cet article est produit avec l’appui de la Synergie des Journalistes pour le Développement Durable.


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