Dans les profondeurs brumeuses du parc national des Virunga, un cri de vie vient de briser le silence pesant de la guerre. Ce samedi 3 mai 2025, une nouvelle lueur d’espérance a vu le jour au sein de la famille Wilungula, l’un des groupes emblématiques de gorilles de montagne vivant dans le sous-secteur de Mikeno.
C’est lors d’une mission de suivi habituelle menée par des pisteurs communautaires, que les équipes du Parc national des Virunga ont aperçu un minuscule nouveau-né blotti contre sa mère. Ce bébé gorille de montagne, dont le sexe reste à déterminer, est la première naissance enregistrée cette année au sein de la famille Wilungula, qui compte désormais 37 membres.
Entre science et prudence
Pour l’heure, les responsables du parc n’ont pas encore pu identifier avec certitude la femelle ayant donné naissance. En effet, la famille Wilungula du nom de l’ancien directeur général de l’ICCN, le professeur Cosma Wilungula comprend plusieurs femelles adultes, dont certaines ne sont pas encore formellement répertoriées par les chercheurs.
« L’observation continue est nécessaire. Nous devons rester prudents avant de tirer des conclusions sur la mère et la dynamique familiale », fait savoir l’ICCN.
Cette prudence scientifique souligne également les conditions extrêmement précaires dans lesquelles les équipes opèrent depuis plusieurs années.

Une vie qui émerge dans les ténèbres d’un conflit armé
Si cette naissance réjouit les amoureux de la nature et les défenseurs de la biodiversité, elle intervient dans un climat extrêmement tendu. Depuis 2022, le Parc national des Virunga, classé patrimoine mondial de l’UNESCO, est au cœur d’un théâtre de guerre opposant les forces armées congolaises à de nombreux groupes armés, dont les rebelles du M23, les ADF, les Maï-Maï, et les FDLR.
« Pendant plus de vingt ans, nous avons été confrontés à de nombreuses attaques contre les gardes forestiers. Près de 220 d’entre eux ont perdu la vie. Entre 2023 et 2024 seulement, au moins sept gardes forestiers ont été tués. Ils travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, souvent dictées par l’insécurité générale qui règne dans la province », a déclaré Emmanuel de Merode, directeur du parc national des Virunga à panafricanisions.
Le centre de Rumangabo, qui abrite habituellement le quartier général du parc, est aujourd’hui totalement paralysé. « La station ne fonctionne plus depuis plusieurs mois. Les incursions sont fréquentes et nous devons régulièrement évacuer le personnel pour des raisons de sécurité », ajoute Merode.
Un symbole fort pour les 100 ans du parc
Dans ces conditions, la conservation des gorilles relève presque de l’héroïsme. Malgré les menaces, les pisteurs communautaires, souvent originaires des villages voisins, continuent à suivre les mouvements des groupes de gorilles avec une fidélité remarquable.
« Nous sommes les yeux et les oreilles de la forêt. Même quand les balles sifflent, notre devoir est de protéger ces créatures », témoigne un gardé parc sous l’anonymat.
Les équipes de l’ICCN, en partenariat avec plusieurs ONG internationales, redoublent d’efforts pour maintenir les patrouilles, les programmes d’identification, et les soins médicaux d’urgence. Ces efforts sont souvent invisibles, mais essentiels.
Cette naissance intervient alors que le Parc national des Virunga célèbre en 2025 son centenaire. Créé en 1925, le parc est le plus ancien d’Afrique, et reste l’un des écosystèmes les plus riches au monde.Avec environ 350 gorilles de montagne recensés à l’état sauvage, les Virunga sont l’un des derniers bastions pour cette espèce en danger critique d’extinction. Les efforts de conservation entrepris depuis plusieurs décennies ont permis d’éviter le pire. Le parc abrite également une biodiversité exceptionnelle : éléphants de forêt, okapis, lions, hippopotames, oiseaux rares, et une flore unique. Mais tout cela est suspendu à un fil tant que la paix n’est pas restaurée.
L’appel à la communauté internationale
Le cri de détresse lancé par les gestionnaires du parc et les défenseurs de l’environnement vise aussi à interpeller la communauté internationale. Les ressources sont limitées, le personnel en danger, et les zones d’habitat des gorilles menacées par les combats.
« Nous avons besoin de soutien logistique, financier, mais surtout politique. Il faut que la paix revienne dans l’Est de la RDC pour espérer sauver les Virunga », martèle Merode.
Des ONG comme le WWF, la Wildlife Conservation Society ou encore la Fondation Dian Fossey continuent de soutenir les actions sur le terrain, mais appellent également à une pression diplomatique sur les groupes armés.
Une émotion partagée par les populations locales
Dans les villages entourant le parc, la nouvelle de la naissance du bébé gorille a suscité de l’émotion et de la fierté. Pour beaucoup, les gorilles sont plus qu’un symbole écologique : ce sont des trésors culturels et spirituels.
« On dit ici que quand un gorille naît, c’est que la forêt veut vivre. Cela nous donne du courage même quand tout semble perdu », confie Joséphine, une agricultrice de Bikenge.
Des programmes d’éducation environnementale ont permis de tisser des liens forts entre les communautés locales et le parc. Les jeunes, notamment, participent à des clubs de conservation et à des activités écotouristiques lorsque la sécurité le permet.
Une lueur fragile, mais essentielle
Il serait naïf de penser qu’une naissance peut effacer des années de conflit, de peur et d’insécurité. Mais cette petite créature fragile est aussi une puissante métaphore : celle de la vie qui résiste, de la nature qui persiste, même dans les pires conditions.
La naissance de ce gorille, aussi discrète soit-elle, porte une charge symbolique immense. Elle rappelle que la conservation n’est pas qu’un effort scientifique, mais un acte de résistance, d’amour et d’espérance. Les Virunga fêtent leurs 100 ans en portant, dans leurs bras feuillus, une nouvelle vie. C’est une victoire, même temporaire, contre le vacarme de la guerre.
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