En République Démocratique du Congo, l’Institut Africain de Leadership Agricole (AALI) s’efforce de revitaliser le secteur agricole. Depuis sa création, cette institution a pour ambition de transformer l’agriculture en un secteur dynamique et porteur d’avenir. AALI s’est fixé quatre objectifs principaux notamment : la création d’emplois décents dans le secteur agricole, la stimulation de l’agro-industrialisation, l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, ainsi que la promotion de l’équité économique et sociale.
AALI partage également la vision du Président Félix Tshisekedi qui veut que le sol prenne de la revanche sur le sous-sol en faisant du sol congolais un moteur de développement. Au Sud-Kivu, l’institut a mis en place un système d’exploitation agricole appelé « Agriparc ». Ce modèle, qui a débuté au Sud-Kivu et s’étend progressivement à d’autres provinces permet de former sur des techniques agricoles modernes, couvrant des domaines variés tels que la production végétale, la production animale et piscicole, la transformation des produits agricoles, la petite mécanisation et l’agriculture numérique.
Comprendre la mission de AALI au travers de sa Brigade des jeunes
Créée en 2022, la brigade des jeunes de AALI a pour mission de promouvoir l’agriculture comme un véritable métier, avec un accent particulier sur l’agrobusiness et le leadership agricole. En plus des personnes accompagnées, l’agriparc accueille également des jeunes étudiant(e)s pour leurs stages.
« L’agriparc est un parc agro-industriel qui vise à promouvoir des technologies agricoles innovantes, servant de modèle pour les agriculteurs. Pour créer une masse critique autour de ces technologies, AALI a décidé de développer ce parc agro-industriel comme un modèle à adopter par la population locale. Ce modèle repose sur trois piliers principaux : la formation, la démonstration et le business », explique l’ingénieur Eustache Ntaboba, chargé de la production animale et piscicole chez AALI.
Agriparc : un modèle de business agricole
AALI présente l’agriparc comme un modèle de business agricole intégrant le cycle complet de production. Les activités principales menées sur les sites de l’agriparc incluent la petite mécanisation, l’agriculture modernisée avec l’introduction de semences performantes, la production animale qui prend en compte les différentes spécificités de la production animale (poissons dans les étangs et cages flottantes), la transformation des produits, l’éducation agricole et l’agriculture numérique.
Les jeunes formés sont également suivis dans leurs environnements. Certains, ayant été formé et appris la petite mécanisation au travers de la Brigade des jeunes, ont créé des clubs où ils appliquent les techniques acquises dans leurs propres champs. Ces jeunes commencent à réaliser des bénéfices, découvrant ainsi l’agriculture comme une clé de développement, un domaine qu’ils considéraient auparavant comme réservé aux pauvres.
Depuis sa création, la brigade a obtenu des résultats concrets sur le terrain. Sur leur site de Nyangezi, les parcelles cultivées par les jeunes de l’AALI témoignent de leur savoir-faire et de leur engagement. Les étangs piscicoles installés servent de véritable modèle pour la production de poissons tilapias, avec une quantité importante de poissons produite en un temps record.
L’agriculture : un secteur attractif pour les jeunes et les femmes
Du 11 au 12 novembre 2024, l’équipe de Mkulima.net a visité le site de l’agriparc à Nyangezi et le site de Kalambo. Au cours de cette visite, l’ingénieur Eustache Ntaboba a souligné comment l’agriculture peut devenir un secteur attrayant pour les jeunes et les femmes, offrant des perspectives d’emploi et de développement personnel. En s’appuyant sur les nouvelles technologies et en adoptant des pratiques agricoles durables, les jeunes agriculteurs peuvent contribuer à la sécurité alimentaire et à la croissance économique du pays.
Avec d’autres jeunes techniciens de la brigade, Eustache consacre son temps à former d’autres jeunes et femmes de Nyangezi sur la production piscicole axée sur le business plutôt que sur l’autoconsommation. Par exemple, la production de tilapias dans les étangs piscicoles de Nyangezi et dans des cages flottantes à Kalambo a considérablement augmenté, atteignant entre 0,5 à 1 kg par poisson en seulement six mois grâce à une bonne souche introduites dans le milieu par AALI.
« Ce que nous faisons ici, c’est un modèle de business. Le site de l’agriparc est un centre d’apprentissage et de démonstration pour montrer aux gens comment promouvoir les activités agricoles. Nous apportons une technologie innovante capable de produire plus par rapport aux pratiques antérieures dans le milieu. À partir de notre écloserie à Kalambo, nous développons une souche performante de poissons », explique l’ingénieur Eustache Ntaboba.
A notre source de renchérir : « notre production d’une bonne souche d’alevins à Kalambo leur permet produire des poissons marchands avec un poids allant jusqu’à 1 kg. Les formations effectuées sont basées sur la chaîne de valeur poisson en mettant accent sur l’aménagement des facilités piscicoles, le choix de la souche, le contrôle de la qualité de l’eau et l’alimentation » a-t-il fait savoir.
Réduire la dépendance étrangère en poissons
Traditionnellement, les habitants de Nyangezi se fournissaient en poissons à Bukavu ou au Rwanda. Cependant, grâce aux activités piscicoles améliorées de l’agriparc, l’impact sur la production est devenu évident. Les pisciculteurs de Nyangezi ont commencé à dupliquer ce modèle chez eux, et les résultats se font sentir.
« Avec les activités piscicoles améliorées, nous formons les gens sur la production axée sur le business plutôt que sur l’autoconsommation. Nous voulons voir une production tournée vers le marché. Notre formation continue leur permet d’acquérir plus de compétences que ceux qui se contentent d’apprendre la théorie. Avec notre approche de business on montre aux gens que l’objectif n’est pas celui d’imposer un grand prix sur le marché, mais plutôt produire plus des produits avec un bénéfice satisfaisant. En concurrence avec le prix qui est sur le marché, les poissons produits ici possèdent un prix abordable et l’appréciation est du côté client comme du coté pisciculteur », soutient Eustache Ntaboba.
Et d’ajouter :
« La production a été significative. En relançant le projet, nous avons commencé avec cinq étangs piscicoles, chacun recevant 3 000 poissons. Au total, nous avons produit 15 000 poissons, démontrant ainsi comment réaliser un retour sur investissement rapide. Bien que cela n’ait pas complètement éliminé l’importation de poissons, nous avons constaté une diminution, avec des clients venant pour acheter nos poissons. D’autres pisciculteurs aujourd’hui ont décidé de dupliquer le même modèle chez eux et on sent l’impact. Le premier impact est que notre approche a permis aux gens de changer leur perception sur la pisciculture comme une simple activité pour l’autoconsommation. Ils ont compris que c’est du business »
A entendre le chargé de la production animale de AALI, l’institut se frotte les mains de voir que l’approche « production tournée vers le marché » gagne du terrain dans le chef des habitants et que l’agribusiness devient un concept compris par les producteurs. Ce qui l’amène à inviter les habitants à réfléchir sur comment développer autant leurs business en créant d’autres étangs.
« L’approche a changé la mentalité des gens et ils ont aujourd’hui une perception de production tournée vers le marché après avoir compris que lorsqu’il y a une grande production, il n’y manquerait pas de marché disponible. En dehors de cette perception, l’approche a changé en eux l’idée de toujours dépendre des pays voisins. Aujourd’hui ils ont tendance à comprendre qu’ils peuvent devenir eux-mêmes producteurs. Pour nous, cette façon de voir les choses c’est déjà une amélioration et c’est ce qui fera en sorte que la grande production trouve place dans leurs exploitations. Nous avons eu à produire plus de deux tonnes de poissons, imaginez si vous produisez deux tonnes et que vous vendez un kilo à quatre dollars américains ? Pour un simple paysan, gagner 8 000 dollars en seulement six mois, ça lui permet de réfléchir à comment développer autant son business en créant d’autres étangs piscicoles. On insiste donc sur la bonne gestion des étangs parce qu’une bonne gestion implique directement un retour sur investissement » Conseille Eustache Ntaboba
Pourquoi les jeunes et les femmes ?
L’autre approche utilisée par AALI dans cette révolution agricole est l’utilisation des jeunes et femmes. Eustache Ntaboba soutient que lorsque les jeunes et les femmes se mobilisent ensemble pour l’agriculture, on peut espérer à des résultats positifs. C’est ce qui justifierait cette place de choix qu’occupe cette catégorie des personnes dans la mise en œuvre des activités de AALI.
« Quand on a commencé plusieurs jeunes ne s’intéressaient pas à l’agriculture. Actuellement, la plus grande partie de l’agriparc est occupée par des jeunes qui sont trop impliqués dans nos activités. Ces jeunes ont finalement compris qu’avec l’agriculture, ils peuvent avoir plus de bénéfices. Ils commencent à s’y intéresser et à dupliquer nos techniques dans leurs propres exploitations » soutient-il.
La jeunesse une force pour booster le développement
Celui-ci note que la jeunesse devient pour l’agriparc une force qui pourra pérenniser toutes les techniques innovantes apprises pour le développement de l’agriculture.
« Premièrement on considère que la jeunesse est une force. Les jeunes ont la capacité et la soif de développer et innover en dehors de ce qu’ils apprennent. En les formant, nous savons qu’avec eux l’agriculture peut se développer. Jadis, les jeunes étaient écartés dans les activités agricoles alors que la population congolaise est en grande partie composée des jeunes. Si on forme plus des jeunes, ça sera une réussite parce qu’il y aura un grand nombre des personnes qui intègrent l’agriculture. Etant une partie qui pourra prendre la relève de l’âge existant, la jeunesse devient pour nous une force pour pérenniser toutes les techniques innovantes apprises pour le développement de l’agriculture. La femme, représente une résilience. Là où il y a la femme on comprend qu’il y a de l’ordre et de la détermination. Et lorsqu’on a des jeunes et des femmes qui se mobilisent ensemble pour l’agriculture, on peut espérer à des résultats escomptés » renchérit l’Ir Eustache.
lire:https://x.com/JustinNkumbarhi/status/1864636412013809878
Témoignages inspirants
Les réussites d’AALI inspirent d’autres jeunes du milieu à se lancer dans l’agriculture. Mushinzi Kasongo Alain, un jeune cultivateur de Nyangezi, témoigne : « Grâce aux techniques agricoles apprises à l’agriparc, j’ai compris que l’agriculture peut changer ma vie. Aujourd’hui, avec mes amis, nous avons acquis un hectare et demi et expérimentons les technologies apprises ici ».
Il ajoute : « Cela fait un bon moment que je suis ici. Mon travail consiste à cultiver différentes cultures avec des machines. Avant, nous ne savions pas les utiliser, mais grâce aux formations, nous les utilisons désormais sans complication. Ces techniques sont un acquis pour ma vie. »
Aksanti Muderhwa Freddy, également de Nyangezi, a participé à la première récolte de poissons. Il confirme : « Les poissons des étangs piscicoles d’AALI sont de meilleure qualité que ceux que nous achetions auparavant. Nous avons désormais accès à du poisson frais. Je souhaite que d’autres étangs soient créés pour doubler la production.«
Riziki Bahizire, vendeuse d’épices et légumineuses cultivées à l’agriparc, explique : « Je vends des aubergines et d’autres épices produites ici. Grâce à l’agriparc, je peux me procurer des produits de qualité et en quantité suffisante, ce qui a amélioré ma vie. »
Les résultats obtenus par AALI montrent que l’agriculture peut être un levier de développement pour la jeunesse congolaise. L’institut s’efforce d’attirer les jeunes vers l’agriculture pour créer une richesse locale. AALI milite pour la promotion de l’agriculture comme un métier noble et rentable, essentiel à l’agenda de transformation agricole de la RDC et au programme de développement des 145 territoires.
Bertin Bulonza