Depuis l’occupation de la province du Sud-Kivu par les M23 et alliés le 15 février 2025, les agriculteurs de cette région payent la lourde tribu. Parmi les victimes, les producteurs du riz de la plaine de la Ruzizi. Ces derniers ne savent plus aller aux champs, les produits finis càd le riz de table et le riz pour la production de la bière moisissent dans les dépôts. Une situation qui vient davantage rendre pauvre les agriculteurs qui vivent de cette culture. Ils plaident pour la fin de la guerre.
BRALIMA, le grand client a fermé ses portes
La plaine de la Ruzizi est une zone importante pour la culture du riz. La riziculture y est pratiquée par des petits producteurs, souvent organisés en coopératives agricoles. Actuellement cette production est estimée à plus de 2800 tonnes par saison culturale. Une quantité insuffisante aux vues des potentialités de la zone.
Une partie de cette production est destinée à la fabrication de la bière via la BRALIMA Bukavu et une autre à la consommation locale. Suite au conflit armé, le stock du riz qui devrait être livré à la Bralima Bukavu pour la fabrication de la bière est toujours disponible dans les dépôts des producteurs car cette société a fermé ses portes.
La société Heineken annonce avoir perdu le contrôle de ses installations. C’est notamment le cas à Goma et Bukavu. Le brasseur de bière néerlandais avait déjà signalé des pillages dans les entrepôts de sa branche congolaise. Il estime désormais que « les conditions ne sont plus réunies » pour continuer la production. Heineken précise à nos confrères de RFI, avoir perdu le contrôle de toutes ses installations dans l’est de la RDC« depuis déjà plus d’une semaine ».
Zeba Madjaliwa, Président du Conseil d’Administration de la Coopérative Agricole pour la Commercialisation Performante des Alimentations de Base, COOPABA, regrette de voir que tous leurs stocks et ceux d’autres membres de leur synergie sont bloqués dans les dépôts.
La COOPABA est une coopérative agricole basée à Sange, spécialisée dans la production, la transformation ainsi que la commercialisation des produits agricoles, notamment le maïs, le riz et le manioc. Elle est membre de la Synergie des Coopératives Agricoles de la Plaine de la Ruzizi, SYCOOPAR.
« La situation est compliquée pour nous agriculteurs de la zone. Le stock de riz que nous avons, devrait être livré à la Bralima mais au vu de la situation, c’est difficile de livrer ce riz à Bukavu. La Bralima a fermé ses portes. Ce riz décortiqué pour la fabrication de la bière ne peut être vendu sur le marché local, ce qui rend la vie difficile à nos membres », regrette Zeba.
Le riz « nyange nyange », absent des tables de Bukaviens
Nyange Nyange est un label du riz produit dans la plaine de la Ruzizi dans des conditions naturelles. Ce riz preferé des habitants de Bukavu et ses périphéries a disparu des dépôts et étalages des revendeurs.
Anne Mushigo, coordonnatrice de l’Association sans but lucratif, Nyange Nyange regrette de voir que cette situation décourage les producteurs du riz de la plaine et touche les consommateurs qui étaient déjà habitués à ce riz « bio ».
« Les routes d’accès dans la plaine de la Ruzizi sont toutes bloquées. C’est difficile actuellement que le riz Nyange Nyange soit acheminé à Bukavu. Nos clients sont aussi victimes de cette situation. Nous voulons que la situation s’améliore très vite », espère Anne Mushigo.
Aline Mweze, habitant de la commune d’Ibanda à Bukavu consomme régulièrement le rizi nyange nyange. Elle se dit être mécontente de la carence de ce produit alimentaire sur le marché. Pour elle, c’est un produit de « bonne qualité vendu à un prix abordable mais qui est rare sur le marché ce dernier temps ».
« Actuellement notre riz de table est vendu difficilement dans la ville d’Uvira », renseigne un agriculteur de Bwegera dans la plaine de Ruzizi.
Et d’ajouter :
« Nous sommes déçus de cette situation. On ne sait plus quoi faire. Il est difficile de produire si on n’a pas de marché ».
Des agriculteurs abandonnés
Les agriculteurs de la plaine de la Ruzizi bénéficient de l’appui conseil et technique de plusieurs organisations nationales et internationales. Avec la situation actuelle, ces organisations ont fermé leurs portes et leurs vulgarisateurs de terrain ont suspendu leur mission d’accompagnement.
C’est le cas de l’Organisation Non Gouvernementale Belge ‘’Rikolto’’, qui accompagne également les producteurs du riz dans la plaine de la Ruzizi dans le cadre de son programme « riz et bons aliments ».
Pour cette organisation, le manque d’accompagnement des riziculteurs conduit non seulement à une faible production mais aussi à une production de mauvaise qualité.
« Les producteurs du riz n’ont pas bénéficié de tous les paquets d’accompagnement et cela a des répercussions sur la production. Actuellement, il est difficile d’acheminer tous les intrants dans la plaine en faveur des agriculteurs accompagnés », regrette Docteur Papy Lwango Fréderic, Programme Advisor Sustainable Production, chez Rikolto.
Dans le cadre de ses activités d’accompagnement des entrepreneurs agricoles l’agence agricole EKAGRI a aussi suspendu ses appuis dans la plaine. Pour cause, la situation sécuritaire.
« Dans la plaine de la Ruzizi nous interagissons avec plus de 37 groupements d’agriculteurs de Kamanyola à Kilomoni en passant par Bwegera. Nous leurs apportons appui conseils et mis en relation avec les consommateurs. Avec la situation actuelle, nous avons suspendu notre accompagnement », renseigne Richard Bihembe directeur de EKAGRI.
Les services étatiques n’y peuvent rien
Pour produire les riz de bonne qualité et en grande quantité, le soutien en termes des mesures d’accompagnent est une nécessité pour booster le travail des riziculteurs. Les coopératives agricoles invitent ainsi les autorités politico administratives à s’investir pour le rétablissement rapide de la paix à l’Est de la RDC. Mais et surtout l’appui du gouvernement aux agriculteurs serait un atout primordial.
Daniel Mutegeza, agronome et chef de bureau production et protection des végétaux à l’Inspection Provinciale de l’Agriculture et Sécurité Alimentaire du Sud-Kivu, estime que l’instabilité politique en RDC en général et au Sud-Kivu en particulier, contribue à la baisse de la production agricole d’une manière générale et la production du riz en particulier surtout dans la plaine de la Ruzizi.
Il révèle que cet organe Etatique qui fonctionne au Sud-Kivu sous la tutelle du ministère de l’agriculteur, n’assume pas pleinement son rôle du contrôle des produits pour garantir leur conformité au référentiel choisi.
Il plaide ainsi pour l’instauration de la paix dans la partie Est de la RDC par les autorités politiques afin de résoudre les problèmes socioéconomiques que connaissent les paisibles citoyens.
Donnez-nous la paix, nous vous donnerons du pain
Etant donné que la production rizicole n’est pas exploitée normalement dans la plaine de la Ruzizi, toute la main d’œuvre qui dépendait de ce secteur est en chômage, ce qui conduit à une crise financière dans plusieurs ménages au Sud-Kivu.
Le coordonnateur territorial de la Nouvelle Société Civile Congolaise au niveau d’Uvira, Byamungu Shamamba Paul, insiste sur cette situation préoccupante qui laisse des familles en difficultés dans la province du Sud-Kivu.
Pour ce dernier, l’instauration de la paix à l’Est de la RDC demeure l’unique solution pour ce problème agricole car selon lui, l’aspect économique serait également touché parce que le riz produit dans la plaine de la Ruzizi alimente la ville de Bukavu et ses périphéries.
« La production agricole à grande échelle dans la plaine de la Ruzizi est une chaine économique de grande envergure. Beaucoup de gens en dépendent, des grands revenus en ressortent. Cette perturbation qui se vit actuellement dans ce secteur impacte négativement sur la survie de plusieurs familles », renchéri Byamungu Shamamba
Cet acteur de la société civile demande au gouvernent congolais de chercher des solutions idoines pour le rétablissement de la paix en RDC en générale et au Sud-Kivu en particulier afin de mettre hors état de nuire les ennemies de la paix qui amenuisent la vie sociale.
La FAO alerte
Dans son rapport « impact des conflits et des déplacements sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et moyens d’existence dans les provinces d’Ituri, Nord-Kivu, Sud-Kivu et Tanganyika » publié le 28 avril 2025, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), fait état de 10,3 millions de Congolais en souffrance d’insécurité alimentaire aiguë depuis le début de l’année 2025.
Ce rapport révèle que, l’insécurité et les conflits nuisent gravement à la production agricole, à l’accès à la nourriture et à la possibilité de générer des revenus. Parmi les ménages exposés aux conflits, 59 % rapportent des revenus inférieurs à ceux de l’année précédente, par rapport à 50 % des ménages non touchés.
Maguy Bapolisi
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