Agriculture : Café, l’or vert du Kivu, étouffé par la guerre

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Les caféiculteurs des territoires de Kabare et de Kalehe sont en pleur depuis l’occupation de la province du Sud-Kivu par le mouvement AFC/M23, le 15 février 2025. Pour leur sécurité, ils ont abandonné leurs champs laissant les cerises ‘’café brut’’ séchées sur les arbres. Une grande partie de leur production a été perdue, et la petite quantité récupérée est refusée sur le marché international. Cette situation appauvrie les agriculteurs qui vivent de cette culture. Ils pensent que la restauration de la paix en RDC en général, et dans la province du Sud-Kivu en particulier, allègerait en quelque sorte leur misère.

La province du Sud-Kivu, produit à elle-même plus de 10.000 tonnes de café chaque année. La grande partie de cette production est destinée à l’exportation, et une très petite quantité à la consommation locale.

Les territoires de Kalehe et celui de Kabare constituent des zones importantes de production de Café au Sud-Kivu. Ces deux territoires ont exporté plus de 1000 tonnes par an, entre l’année 2020 et 2024, injectant plus de 5 millions de dollars chaque année dans l’économie nationale.

Suite aux combats qui se déroulent dans ces deux territoires, entre les wazalendo et le mouvement AFC/ M23 depuis le mois de février, la production du café est devenue très difficile.

Plusieurs caféiculteurs ont abandonné leurs champs. Les coopératives agricoles ont du mal à accéder aux financements car les banques sont fermées. Les organisations qui accompagnent les caféiculteurs n’ont pas accès aux zones de production, Des acheteurs internationaux se sont retirés du marché. Cette situation provoque non seulement la déstructuration du café au Sud-Kivu, mais aussi cause les pertes inestimables dans le chef des producteurs.

ONAPAC vandalisé, les caféiculteurs en payent le prix

Dans la journée du 15 février 2025, l’Office Nationale Produits Agricoles du Congo ONAPAC a été pillé par les inciviques. Cette entreprise publique de l’Etat congolais joue le rôle de régulation ainsi que d’accompagnement des agriculteurs dans 21 produits d’exportation de la RDC, à l’occurrence le café.

Cet acte de vandalisme a fait état de perte des documents administratifs, de vol de matériels de bureau, du stock du café se trouvant dans les entrepôts, de machine de déparchage ‘’traitement’’ du café, ainsi que la destruction des entrepôts.

Y égard à cette situation, ONAPAC s’est trouvé non seulement dans l’impossibilité d’accompagner techniquement les caféiculteurs mais aussi de transformer les cerises’’ café brut’’ en café prêt pour la consommation. 

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Amuli Fiston, chef de service principal au sein de ONAPAC, s’indigne de cette situation qui laisse les caféiculteurs en souffrance. Selon lui des caféiculteurs ont connu des pertes inestimables qu’ils n’ont jamais connu.

« Nous en tant qu’organe accompagnateur, nous avons assisté au calvaire des caféiculteurs. Bon nombre d’eux ont perdu la grande partie de leur production. La production récupérée n’a pas été traitée à notre niveau pour en faire le café vert, car les routes des dessertes agricoles sont inaccessibles et les combats se poursuivent dans des zones de production », regrette Amuli Fiston.

Les cerises abandonnées dans les champs.

Pour une production à grande échelle et de bonne qualité, les caféiculteurs sont regroupés en coopératives agricoles.  Ces derniers se partagent les outils, les connaissances ainsi que les expériences afin de maximiser leurs recettes.

Bazibuhe Badhera Jean Louis caféiculteur et gérant de la Coopérative Tumaini Coffee basée à Miti dans le territoire de Kabare, fait savoir que pour raison de leur sécurité, plusieurs caféiculteurs se sont réfugiés à Bukavu et d’autres ont quitté carrément la province du Sud-Kivu, abandonnant le café dans le champ.

De sa part, le président du Conseil d’Administration de la Coopérative Kalehe Arabica Coffee, KACCO, Styven Kanane, indique que la guerre a commencé au Sud-Kivu juste pendant la période de la maturité totale du café, mais il n’y avait pas moyen de récolter car le contexte sécuritaire n’était pas favorable.

« Le café est une culture saisonnière. C’est vers le mois de février que nous devrions commencer la récolte et c’est au cours de ce même mois que la province du Sud-Kivu a été prise par le mouvement AFC/M23.  Des caféiculteurs se sont réfugiés ailleurs.  Certains ont perdu toute leur production et d’autres qui sont arrivés à récupérer une petite partie de leur production n’ont pas eu la possibilité de la transformer à cause de la guerre.»

Et d’ajouter :

« Pour traiter le café avant de le vendre, certains caféiculteurs le font à Goma et d’autres à l’Office Nationale des Produits Agricoles du Congo, ONAPAC. Malheureusement au cours du mois de février il n’y avait pas la communication entre la province du Nord-Kivu et celle du Sud-Kivu, mais aussi ONAPAC a été vandalisé et a suspendu toutes ses activités. C’est comme cela que nous avions perdu nos productions dans lesquelles nous avions tant investi en termes de l’argent et de temps.»

KACCO est une coopérative de café basée à Kalehe, au Sud-Kivu en République Démocratique du Congo, qui se concentre sur la production du café arabica de haute qualité en valorisant chaque étape de la cerise au café torréfié.

Pas des transactions bancaires, l’exportation du café devient impossible

Dans le contexte de l’exportation du café, la banque joue un rôle crucial en tant que partenaire financier pour les acteurs impliqués dans la filière, notamment les producteurs, les coopératives, les exportateurs ainsi que les transformateurs.

Du point de vue facilitation des transactions internationales, les banques permettent aux exportateurs de recevoir les paiements de leurs clients étrangers de manière sécurisée, mais aussi facilitent les transferts d’argent internationaux pour les paiements aux producteurs ou pour d’autres besoins liés à la chaine d’approvisionnement.

Il sied de signaler que les conflits armés vécus au Sud-Kivu seraient la cause de la fermeture des Banques ainsi que des Institutions de Microfinance.  Face à cette situation devenue intenable les caféiculteurs ne se savent plus à quel saint se vouer car les plus grandes opérations de vente du café de la RDC s’effectuent au niveau international.

Interrogé par la rédaction l’expert en microfinance chez EKAGRI, Augustin Biregeyi, met en lumière la situation des agriculteurs, et particulièrement les caféiculteurs qui sont clients des institutions de microfinances, dans un contexte où ces institutions ne fonctionnent plus en raison de la crise sécuritaire dans l’Est de la RDC,

« Depuis environ cinq mois, toutes les activités économiques tournent au ralenti, y compris l’agriculture. Les agriculteurs font face à des grandes difficultés, notamment le manque de liquidité dans les transactions financières. Ils ne peuvent plus épargner efficacement car les institutions dans lesquelles ils déposaient leur argent sont fermées. Or, pour un agriculteur, l’épargne est essentielle : c’est une assurance pour financer ses activités, surtout en période creuse. Ce qui les fragilisent encore davantage », regrette Augustin.

Le manque de crédit, tue l’agriculture

Pour cet expert en microcrédit, il y a aussi l’enjeu de l’accès au crédit. Les institutions étant fermées, plus aucun crédit n’est accordé. Résultat pas de financement pour les activités agricoles, donc pas de production à venir, ce qui pourrait entraîner des pénuries et accentuer la dépendance à l’importation, avec des conséquences négatives sur la balance commerciale.

Bienfait Buraye, acteur dans la chaine de valeur du café en RDC, parle de la menace de la rentabilité du café, et le découragement des producteurs du café. Pour lui, aussi longtemps que les banques seront fermées au Sud-Kivu, les caféiculteurs seront en difficulté de vente.

Ce dernier indique que, certains producteurs du café du Sud-Kivu, rejoignent les zones non occupées pour effectuer leurs opérations. Une situation qui n’est pas avantageuse d’après lui car il faudra payer une double taxe. Au niveau des autorités du mouvement AFC qui gouvernent cette province et au niveau du gouvernement centrale, y compris les coûts de transports.

« Ceci mène au désengagement des entrepreneurs marchands du café du Sud-Kivu. Même s’il y a production, il n’y aura pas moyen de vendre car les plus grandes ventes c’est au niveau international. Les courageux sont en train de quitter la province pour aller dans des provinces non occupées. Cela nécessite un grand cout pour ne rien gagner peut-être », ajoute notre source.

Cependant cet auteur de chaine de valeur du café, plaide pour le rétablissement de la paix en RDC, pour une réouverture effective des banques afin de permettre aux producteurs du café de vaquer paisiblement à leurs occupations.

Tout en signalant que le café est une culture de rente et plusieurs familles en dépendent, ce dernier martèle que le désengagement des entrepreneurs marchands du café du Sud-Kivu conduirait à l’insécurité alimentaire dans les ménages de cette province. 

Le café du Sud-Kivu refusé par certains acheteurs internationaux

« Certains de nos acheteurs internationaux ont résilié le contrat. Ils ont avancé le motif de ne pouvoir acheter le produit dans une zone en guerre pour plus de crédibilité. Nous nous sommes retrouvés avec le stock du café que nous vendons avec beaucoup de difficulté car le café n’est pas beaucoup consommé localement. Cette année a été une année des pertes pour nous. J’appelle tous les caféiculteurs à la résilience », déplore Styven Kanane.

Le président du Conseil d’Administration de la coopérative KACCO demande les parties prenantes au confit de chercher des solutions idoines pour une paix durable en RDC afin de sauver la population des souffrances dont elle endure ce dernier temps.

Maguy Bapolisi


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