Lac Kivu : rareté des ressources halieutiques, quand les guéguerres entre services étatiques favorisent un crime environnemental

Rareté des ressources halieutiques à Bukavu
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Alors qu’une importante partie de la province est entourée par le majestueux lac Kivu, la province continue à faire face à une rareté des ressources halieutiques. Ce dernier temps, le prix des Sambaza qui est l’espèce la plus commercialisée dans la province se négocie entre 6 000 et 8 000 francs congolais le kilogramme. Cette hausse du prix des ressources halieutiques est attribuée à la rareté de ces espèces sur le marché de la région.

Certains experts craignent le risque de disparition de certaines espèces de poissons dans le lac Kivu à la suite d’une mauvaise pêche qui utilise des filets prohibés. Ces filets constituent une véritable source de destruction méchante par ce qu’ils éliminent même les alevins.

Des filets prohibés notamment les « Bihuru » carrelet utilisés dans les zones de frayères du lac Kivu par certains pêcheurs font rage. La pêche à filet maillant avec torche continue à détruire les ressources halieutiques du lac Kivu et c’est malgré les multiples campagnes de sensibilisation menées par des organisations sur la pêche rationnelle avec Zéro Filet Prohibé au lac Kivu.

D’un côté, la division provinciale de la pêche au Sud-Kivu pointe du doigt les pêcheurs qui ne sont toujours pas prêts à abandonner les filets prohibés. Ce qui serait à la base de l’insécurité alimentaire dans la province et particulièrement la ville de Bukavu. Les associations des pêcheurs de l’autre côté dénoncent la léthargie et l’inertie avec lesquelles ce service étatique agit.

Dans un entretien de la rédaction de Mkulima.net avec le chef de division du bureau pêche, il ressort que cette pratique entretenue par quelques associations des pêcheurs, en collaboration avec certains services de l’Etat, dont la sécurité maritime, plongent la province dans une insuffisance alimentaire aiguë. Plusieurs tonnes de fretins « Sambaza » et Ndugu (goujons) disparaissent à travers la pêche des alevins. La division provinciale de la pêche interpelle d’autres services, les invitant à la collaboration pour l’intérêt général de la province.

Mais que dit la loi sur la réglementation de la pêche ?

En lisant l’ancienne loi du 21 avril 1937 à ses articles 60 et 62, mais aussi celle du 11 février 2014, on note le rejet absolu de l’usage de filets à quelques 100m de littoral    et l’usage des filets dits prohibés que plusieurs pêcheurs utilisent malheureusement au mépris de la loi qui dit, je cite :

« la destruction du frai et des alevins ainsi que la pêche dans les zones de frayères sont interdites, il est interdit de détériorer ou détruire les sites de production, des aires interdites, des aires de repos ou tout habitat  naturel où vivent les espèces à un stade de leurs cycles biologiques », fin de citation.

Socive Mulambula dénonce la pêche des alevin

Selon un rapport du 21 juin 2024, fourni par les techniciens de la Division de la Pêche sur 35 filets recensés, 5 seulement sont normaux parce qu’ils ont des mailles de 5 à 6 mm, tandis que les 30 autres sont prohibés avec des mailles de 2,3,4mm. Le filet prohibé « Bihuru » carrelet eux attrapent :’’ plante, animaux aquatiques et alevins …’’

Les agents de la division de pêche, une cible potentielle

Il ressort qu’un conflit permanent « entretenu » entre la division provinciale de la pêche et les associations regroupant les pêcheurs ne facilite pas aux agents de cette structure étatique à se mouvoir dans différents camps et sites où se commercialisent les poissons. Selon le chef de division du bureau de pêche, ce désastre serait occasionné par les discordes qui déchirent les différents services étatiques qui ne sont pas d’accord que la réglementation de la pêche soit accordée à la division provinciale de Pêche.

’La réglementation sur le lac Kivu n’est pas du tout une chose facile comparativement au lac Tanganyika où les pêcheurs sont flexibles aux normes. Ces pêcheurs ne nous facilitent pas la tâche, ils ne donnent pas leur production car instrumentalisés par ceux qui les exploitent. Sur des sites d’embarquement, nos équipes mobiles de surveillance qui sont chargées de réglementer la pêche sont bloquées de travailler. Les gardes-pêche pour récolter les statistiques ont été chassés par les propriétaires de plages et cela depuis l’an 2021 », déplore Makala Blaise, chef de division en charge du bureau pêche.

Le secteur de la pêche dans les oubliettes

Safari Kayeye Laurent, président provincial de l’Association pour le Développement de Pêcheurs et Analphabètes du Sud Kivu (ADPA-SK), lui ne voit pas les choses dans cette logique. Pourtant sa structure est pointée du doigt par la division provinciale de pêche dans l’utilisation des filets prohibés ‘’Bihuru’’. Il pense que le secteur de la pêche est une filière tout simplement oubliée par les dirigeants pourtant, un pilier économique de la province.

Créée depuis 1999 avec l’objectif de changer la manière de pêche sur le lac, cette association vise aussi à combattre la malnutrition et lutter contre le chômage des jeunes dans la province. Elle a pour mission d’encourager également la pêche coutumière qui se fait par filet trimaran ou carrelet (Lusenga).

‘’ Nous avons beaucoup d’années et nous nous auto finançons nous-même. Nous attendons l’aide des autorités ainsi que d’autres organisations partenaires de l’Etat congolais pour soutenir la pêche. Nous avons pour mission d’améliorer la pêche sur le lac-Kivu, voir comment on peut changer la vie des pêcheurs qui vivent la misère malgré les sacrifices consentis’’, fait savoir Safari Kayeye président d’ADPASK.

Il fait observer que la pêche sur le Lac Kivu se retrouve confrontée à des défis énormes notamment : le manque d’assistance de la part des autorités congolaises, qui ne font pas de ce secteur une priorité pour le développement de la province et le relèvement de la vie économique de sa population.

‘’ Il y a multiplicités des filets sur le lac, le chômage s’est accru car la majorité de jeunes qui ont fini les études et qui n’ont rien à faire cherchent leur refuge dans le lac. Plusieurs personnes qui viennent dans tous les territoires notamment : Kabare, Walungu, kalehe, Uvira n’ont rien d’autres à faire et ont décidé de se lancer dans la pêche en utilisant soit des moustiquaires, des rideaux dits des filets prohibés,’’ fait savoir Safari Kayeye.

La pêche des alevins, une véritable source de l’insécurité alimentaire

Bien qu’accusées par la division de la pêche, certaines associations des pêcheurs se montrent favorables à la pêche rationnelle.  Byamungu Magala, est secrétaire de l’Association des Pêcheurs regroupés au sein du Comité inter-groupement des Pêcheurs au Filet Maillants « COPFIMA », celui-ci dénonce avec toute son énergie la pêche des alevins qui se passe sur le lac Kivu et interpelle les autorités habilitées à prendre des mesures drastiques pour décourager cette pratique qui prive la province de l’alimentation des ressources halieutiques.

Selon le témoignage de ce cadre de COPFIM, un verre des alevins soustrait du lac, occasionne une perte de 140 kg de petits poissons Sambaza. Il fait observer que plusieurs bassins des alevins qu’on appelle Munge ou Mahuzo sont pêchés du lac Kivu qui constituent des tonnes de poissons disparus.

’COPFIMA s’intéresse beaucoup plus avec tout celui qui a le filet maillant sur le lac Kivu. Le manque des poissons, goujons et Fretins est dit à la mauvaise pêche sur le lac. Les pêcheurs ne respectent plus les consignes qui fixent de modalités et endroits appropriés pour la pêche. Ils ont également des filets non permis pour la pêche. Voilà ce qui détruit l’environnement du lac et cause la rareté des poissons sur le marché. Nous parlons de pêche illégale parce qu’elle s’attaque aux alevins (Mahuzo, Budiké…),’’ condamne Byamungu Magala secrétaire de COPFIMA.

 L’Etat Congolais n’est pas saint

Dans cette pratique d’utilisation des filets prohibés, des pêcheurs « incontrôlés » car n’appartenant pas à des associations, pratiquent la pêche illégale sans être gênés par les services de l’Etat. Ils sont bien entretenus sans inquiétude et exercent convenablement leur sale besogne. A en croire la COPFIMA, certains incontrôlés sont arrêtés et malheureusement une fois relâchés, ils reviennent à la charge. Les associations des pêcheurs sur le lac Kivu lancent une sonnette d’alarme et invitent le gouvernement congolais à la conscience.

‘’On attrape toujours ces hommes de mauvaise foi qui ont décidé de détruire l’environnement avec des filets non appropriés. Nous les déférons devant la justice mais curieusement, ils sont immédiatement libérés et reviennent dans le lac et là-bas nous sommes mal vus. Nous pouvons dire que l’Etat Congolais ne nous aide presque pas, car lui-même favorise la maffia sur le lac Kivu avec les filets prohibés et tuent les alevins,’’ regrette Byamungu Magala de COPFIMA.

Il recommande à l’Etat congolais d’interdire formellement la pêche illégale sur le lac Kivu en prenant des mesures courageuses qui s’imposent. C’est ainsi qu’on pourra prétendre encourager et promouvoir la reproduction de poissons (Tilapia, les goujons (Gobio gobio) ‘’Ndugu’’, et les Sambaza.

Par ailleurs, le vice-président de COPEMA un groupement de l’association ADECOR, lui, invite les autorités à être des hommes de terrain pour s’imprégner d’autres réalités au lieu de rester dans des bureaux pour n’accepter que tout ce que les associations leur disent. Dans son intervention, Mulumeoderhwa Manege vice-président d’ ADECOR, regrette que l’usage du filet dit « Bihuru » dépouille le Lac de tous ses animaux aquatiques (petits poissons, des goujon). D’où la nécessité d’envoyer les experts de l’inspection provinciale de Pêche et élevage pour acter le genre des filets à utiliser et celui qu’on ne pourra jamais utiliser. Ce dernier recommande à l’Etat congolais de doter les pêcheurs des filets appropriés pour assurer la protection des alevins.  

La pêche aux trémails et aux filets Maillants en Manche

 Les pêcheurs recommandent que la pêche se fasse par filet Mallant en commençant par le numéro 8, 9,10 et 11. Mais aussi la pêche de trémails surtout pour les équipes qui pêchent les poissons Sambaza et qui utilisent le filet N°5 et N°6

« Nous souffrons ici avec la pêche par filet carrelet Bihuro qui ravage tout dans le lac. Ce filet tue les enfants et les mères de poissons, il ne laisse rien à son passage. Ces pêcheurs se mettent débout dans l’eau et tirent leurs filets sans épargner quoi que ce soit. Nos enfants aujourd’hui peuvent souffrir de la kwashiorkor car cette pêche est appuyée par certains responsables des associations, » dénonce Murhula Shangi pêcheur sur le lac Kivu.

Les filets Maillants autorisés

Selon les propos des pêcheurs, une circulaire serait déjà mise sur pied par le chef de Division provincial et appuyée par l’administrateur du Territoire de Kabare bannissant la pêche illégale sur le lac Kivu.

Les services étatiques divisés, les pêcheurs exercent en électrons libres

A la division de la pêche, il se lit une déception dans le chef des animateurs qui parlent d’un manque de collaboration avec d’autres services étatiques qui pourtant devraient propulser les actions de développement dans ce secteur vital qui constitue un socle alimentaire en province.  Pour Makala blaise, la division de la pêche attire la convoitise de presque tout le monde et chacun ne voit que ses intérêts personnels.

« Deux des nos agents mobiles ont été arrêtés pendant qu’ils exerçaient leur travail à Katana et transférés à la prison centrale seulement parce qu’ils ont saisi 4 filets prohibés Bihuru carrelet pratiquant dans les zones de frayères au lac Kivu. Les pêcheurs de l’association ADPASK se sont mobilisés et ont payé de l’argent pour faire arrêter les agents de l’Etat. Nous travaillons également à couteau tiré avec les collègues de la division de l’environnement qui ne souhaitent pas comprendre que les services ont été décentralisés et que nous ne dépendons plus de l’agriculture, ni de l’environnement’’, déplore ce cadre à la division de pêche.  Les services de sécurité maritime semblent ne pas jouer convenablement leur rôle.

L’ingérence politique, fragilise la pêche

Le trafic d’influence sur le lac Kivu affaiblit les efforts des agents de la division provinciale de pêche, et d’autres services étatiques. David Irenge, chef de cellule pêche et chargé d’équipement condamne avec toute énergie les ingérences des d’autres services de l’Etat qui leur placent de croc à jambe et les empêchent de bien faire du travail. Avec la bénédiction des agents de sécurité sur le lac, certains pêcheurs sont autorisés à pêcher dans des zones des frayères et d’utiliser des filets prohibés.  D’autres vont jusqu’à violer les périodes de pause où la pêche est suspendue.  

« On dirait la loi de la jungle qui dicte les principes et les méthodes sur cette planète aquatique. Les
députés pour des faits politiques, ils vont jusqu’à intimider les services de l’Etat et font libérer les pêcheurs arrêtés pour usage des filets prohibés et leur remettent leurs filets interdits. » déplore un
observateur qui dénonce les incessantes contradictions entre services qui œuvrent à couteau tiré où chacun pense avoir la suprématie sur l’autre.

Signalons que suite aux guéguerres entre la division de pêche et celles de l’environnement, la division provinciale de pêche a été obligée de suspendre ses activités sur le lac Kivu et ne pourra reprendre qu’à la signature d’un arrêté lui permettant de réglementer la pêche. Ce service éprouve de difficulté d’équipement qui pourra lui permettre d’exercer et s’émouvoir sur l’espace lacustre sans limite.

Mais avant cela, les pêcheurs eux continuent à solliciter l’implication du gouvernement provincial dans le secteur. Certains ne cachent pas leur volonté d’abandonner les filets prohibés. 

Patrick Babwine 

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