Au Sud-Kivu, pendant que certaines élites et des églises disposent d’hectares de concessions non exploitées, beaucoup des ménages survivent sur très peu d’espace. Il s’observe dans la province une forte croissance démographique qui accentue du jour au lendemain le besoin en terres des ménages. Une recherche menée grâce à l’appui de ARES démontre que ces dernières décennies, le phénomène d’accaparement des terres s’est amplifié, dans cette partie de la République Démocratique du Congo privant des communautés entières souvent des paysans opérant à petite échelle l’agriculture dont ils dépendent pour leur survie.
Dans tous les territoires de la province, les plus grandes portions de terres arables sont occupées par des concessionnaires qui les détiennent au détriment des petits paysans. Certains se contentent de garder des concessions en jachère alors que les paysans riverains manquent où cultiver.
Les patrons qui sont les grands concessionnaires préfèrent garder leurs terres non exploitées dans une province qui vit dans une dépendance alimentaire totale de l’étranger.
En territoire de Kalehe, on compte plus de 30 grandes concessions « abandonnées » qui ne servent en rien. Le territoire de Kabare n’en parle même pas. Les quelques concessions « utilisées » servent quelque fois à de pâturages pour le bétail.
Plus loin à Mwenga, Shanda ou à Fizi, la situation est la même et la pauvreté s’enracine. Les grands espaces sont utilisés pour l’exploitation minière au détriment de l’agriculture. Le territoire de Walungu n’est pas en reste. Ici, les grands espaces qui serviraient à l’agriculture sont exploités pour la fabrication des briques.
Dans ce contexte, il devient difficile voire même quasi impossible de réduire la pauvreté rurale, un contexte des systèmes agricoles de plus en plus limités par la concurrence foncière, surtout qu’on le sait, au Sud-Kivu la croissance de la production agricole est essentiellement liée à l’expansion des terres plutôt qu’à l’accroissement des rendements.
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En effet, la grande majorité de la population du Sud-Kivu vit en milieu rural et pratique l’agriculture comme principale activité économique. En dehors du rôle que joue l’agriculture paysanne dans l’économie de la RDC, en contribuant entre 40 et 60 % du revenu national et en employant entre 40 et 80 % de la population active cette dernière demeure traditionnelle.
Une législation foncière qui facilite les puissants dans l’acquisition foncière !
Dans sa recherche de 2005, le chercheur Van Acker a affirmé que dans uncontexte de surpopulation surtout dans l’Est de la RDC les terres sont peu accessibles. De plus, le contexte sociopolitique dans les milieux ruraux jonchés par des groupes armés qui écument la région,
rend le cadre encore plus complexe selon lui. Pour ce chercheur , la législation foncière semble plutôt faciliter les acteurs puissants, disposant de l’influence aussi bien politique qu’économique dans l’acquisition foncière.
Ceci ramène le débat sur les failles de la gouvernance foncière au pays qui, dans son organisation actuelle semble privilégier des personnes physiques ou morales plus puissantes au détriment des paysans.
Conséquence, les paysans opérant à petit échelle ont de plus en plus de mal à accéder aux terres et à sécuriser leurs moyens d’existence qui est l’agriculture. Le phénomène des paysans sans terre devient de plus en plus fréquent dans tout l’Est de la RDC en général et plus particulièrement au Sud-Kivu.
L’accès à la terre par les paysans, quel impact sur le bien-être des ménages ruraux ?
Face à ce tableau ombre, la principale question est de savoir comment un accès insécurisé aux terres influence les pratiques agraires des paysans du Sud-Kivu.
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Les recherches menées ont démontré qu’un accès sécurisé des paysans à la terre peut avoir une grande influence
sur les pratiques culturales et, par conséquent, sur la production agricole à
réaliser par ces derniers.
C’est dans ce sens que dans sa publication intitulée « l’agriculture familiale à l’épreuve de la concurrence foncière au Sud-Kivu », le chercheur Dieudonné Bahati insiste que question d’accès sécurisé à la terre devrait être prise en compte, puisqu’en dehors des considérations économiques, la terre joue un rôle considérable dans les rapports sociaux dans les milieux ruraux
au Sud-Kivu.
» Il conviendrait ainsi de se demander quel sera, à l’avenir, le sort des « paysans sans terre » qui pourraient devenir plus nombreux dans le milieu ? » s’interroge Dieudonné Bahati.
Celui-ci pense que l’augmentation de la production dans les conditions où les ménages n’ont pas les moyens d’améliorer le type d’agriculture qu’ils pratiquent, ne peut se faire que par le recours à des facteurs de production fondamentalement à la portée des paysans, dont la terre.
Ce chercheur pense que l’État congolais ne s’investit pas énormément dans le secteur agricole, par la mise sur pied des semences sélectionnées, la facilitation de l’accès aux intrants agricoles, l’encadrement des producteurs sur des pratiques agricoles appropriées, etc.
Dans ce contexte pour faire face à cette difficulté pour les paysans d’acquérir de nouveaux terrains au Sud-Kivu, ce chercheur propose l’adoucissement des conditions de prise en location des terres auprès des grands concessionnaires.
« Ceci passerait notamment par la réduction des frais de location de la terre, et l’augmentation de la durée du contrat de location. Élargir la durée du contrat de location d’un terrain sur plusieurs
années permettrait, d’une part, de favoriser la production de manioc, aliment de base dans la région, dont la culture exige plus d’une année, dans les conditions de Kalehe » soutien-t-il.
D’autre part, il pense que cela motiverait les paysans à s’investir dans l’amélioration des terres louées.
Le Gouvernement provincial face au défi !
Afin d’y parvenir, l’État congolais a un rôle important à jouer en réglementant les pratiques de location des terres au profit des paysans qui interviennent beaucoup dans la production
agricole du pays.
Le nouveau Gouverneur de Province, a par ailleurs annoncé des mesures dans ce sens. Le Professeur Jean-Jacques Purusi avait lors de l’investiture de son gouvernement promu de prendre des mesures allant jusqu’à réquisitionner des espaces non exploitées par les concessionnaires pour les mettre à la disposition des paysans dans le souci de booster la production agricole en province. Il avait par la suite déploré cette façon de laisser des espaces arables en jachère pendant de longues années alors que la province fait face à l’insécurité agricole et pourtant les « vrais » agriculteurs sont disponibles et prêts à les cultiver.
Pour le Gouverneur » le paysan n’est pas non plus à écarter dans la promotion de l’agriculture«
Il avait insisté sur la détermination de son gouvernement à réduire sensiblement la dépendance alimentaire étrangère à travers la promotion de l’agriculture paysanne.
Bertin Bulonza