Originaire d’Asie centrale, l’oignon (Allium cepa) se distingue par sa richesse en vitamines C et B6, contribuant au bon fonctionnement de la peau, des gencives, des cheveux, des nerfs et des muscles. Pendant ce temps, dans les collines verdoyantes de Cibubiro, non loin de Mudaka dans le territoire de Kabare, cette plante prend une tout autre dimension. En effet, ici, l’oignon ne pousse pas seulement dans la terre. Il s’enracine dans la mémoire, dans les traditions, dans l’espoir. Ici, sur ces terres humides où l’eau ne manque jamais, les cultivateurs cultivent bien plus qu’un légume, ils cultivent une vie.
A Cibubiro, la culture de l’oignon est plus qu’un métier. C’est un héritage, une histoire, une promesse silencieuse faite aux ancêtres de faire fructifier la terre comme eux jadis. Ici, le sol regorge d’eau jaillissante et les collines accueillent, saison après saison, les graines rouges d’une vie simple, mais digne.
« Cultiver des oignons, ce n’est pas seulement une question de nourriture, c’est une manière de faire vivre la mémoire de mes parents », confie avec émotion Aline M’Cirhuza, cultivatrice et mère de famille.
Elle poursuit : « J’aimerais tenter d’autres cultures, mais à chaque récolte d’oignons, c’est comme si je les entendais me dire ‘tu continues ce que nous avons commencé. »

Ce lien fort à la terre et aux ancêtres, Aline le partage avec d’autres membres de la communauté, à l’instar de Shamavu Maheshe Venant, président de l’Association pour le Développement des Cultivateurs de Kabare et Kalehe. Depuis 2018, il veille à l’unité et à l’épanouissement des producteurs locaux.
La force d’une coopérative
Autrefois, chaque paysan cultivait dans son coin, vendait seul, subissait seul les pertes, les taxes et les maladies. Mais la force de l’union a changé la donne.
« À un, on va vite, mais à deux, on va plus loin », lance Shamavu avec sagesse. Sous son impulsion, les cultivateurs de la région ont décidé de se regrouper en coopérative. Une démarche simple, mais révolutionnaire.
« Nous partageons nos bonnes pratiques, on s’entraide pour lutter contre les maladies des plantes, et surtout, on fait face ensemble aux contraintes administratives. Grâce à cette solidarité, les tracasseries fiscales ont diminué. Aujourd’hui, nous ne payons que les taxes de la chefferie », affirme-t-il fièrement.

Ce modèle collaboratif attire l’attention de plusieurs organisations de soutien aux agriculteurs. Recolt, par exemple, leur fournit des semences, des médicaments, des pulvérisateurs et même des formations en bonnes pratiques agricoles.
« Tous les membres de notre coopérative utilisent uniquement de l’engrais organique. C’est ce qui nous distingue sur le marché, nous avons des oignons de qualité, sains, et respectueux de l’environnement », ajoute Shamavu.
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Femmes de la terre, femmes de combat
Sur ces collines, les femmes sont omniprésentes. Elles labourent, plantent, récoltent, et surtout… vendent. Nsimire M’Shorwa, grossiste d’oignons depuis une décennie, en est une illustration éloquente.
« Grâce à ce commerce, je nourris mes enfants. Ce n’est pas facile, surtout avec les routes de dessertes agricoles quasi inexistantes. On marche longtemps pour rejoindre les marchés. Nous avons besoin de routes, de lieux de vente, de structures dignes de ce nom », insiste-t-elle, tout en chargeant une bassine d’oignons rouges sur sa tête.
Mais malgré les obstacles, ces femmes tiennent bon. Comme Aline, comme Nsimire, elles refusent de céder au découragement. Elles transforment leur sueur en sourire, leur fatigue en fierté. Car pour elles, l’oignon est bien plus qu’un bulbe, c’est une source de dignité.
La relève est là
Dans un pays où le chômage des jeunes bat des records, certains décident de ne pas attendre. C’est le cas de Bisimwa Zigabe, un jeune agripreneur passionné, qui a choisi de transformer son héritage agricole en entreprise.

« Cultiver des oignons demande de la patience et du courage. Tu ne gagnes pas de l’argent dès la première saison. Mais si tu viens avec un esprit entrepreneurial, tu finis par réussir. Chaque erreur est une leçon. En 2025, beaucoup ont perdu leur récolte à cause du mauvais choix de semences ou d’une mauvaise lecture des saisons. Il faut apprendre à connaître son sol », raconte-t-il avec maturité.
Bisimwa souligne également un avantage compétitif : « L’oignon se vend à tous les stades. Tu peux vendre la semence, le jeune plant, le bulbe mûr. C’est une culture à haut potentiel de liquidité. Contrairement au maïs ou au manioc, l’oignon trouve preneur rapidement. »
Innover pour nourrir autrement
Le vent de l’innovation souffle aussi sur Cibubiro. Furaha Shamavu, juriste de formation, a troqué la toge contre la houe. Avec plusieurs formations en agripreneuriat à son actif, elle s’est lancée dans la production d’engrais liquides à base de déchets ménagers.
« Je voulais faire quelque chose de différent. Utiliser ce que la ville rejette pour enrichir la terre. Aujourd’hui, mon engrais liquide fait toute la différence dans mes cultures », explique-t-elle avec enthousiasme.
Et d’ajouter,
« J’encourage les jeunes filles à se lancer dans l’agriculture. C’est un domaine noble, rentable et porteur d’avenir. On peut être indépendante, créative et utile à sa communauté. »

En guise de mot de fin…
Bien que cette filière regorge de potentiel, les défis restent nombreux. Manque d’infrastructures, accès limité aux crédits agricoles, faible valorisation du produit local, absence de marchés structurés… La liste est longue. Pourtant, l’espoir demeure intact.
« Si l’État nous construit des routes, si on obtient des espaces de vente sécurisés, si les institutions financières croient en nous, alors on peut nourrir Bukavu, Uvira, Goma, et même plus loin », martèle Shamavu.
À l’image de ces oignons rouges, brillants et robustes, les cultivateurs de Cibubiro tiennent bon. Leur combat est silencieux, mais essentiel. En soutenant leur travail, en achetant local, en investissant dans la filière, c’est toute une chaîne de vie qu’on valorise. C’est l’économie rurale qu’on dynamise. C’est la souveraineté alimentaire qu’on construit.
Elie CIRHUZA
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